Festival

Entretien avec Lynn Cassiers

publié le 8 septembre 2023

Hildegard Von Bingen : poétesse, musicienne, abbesse, médecin, fondatrice de monastère, peintre… et la liste ne s’arrête pas là !  Aujourd’hui devenue une personnalité mythique, synonyme de modernité et de spiritualité, elle est au cœur du concert proposé par le duo Lilly Joel qui se produira à Toulouse le vendredi 13 octobre 2023.
La formation qui prend le nom de « Lilly Joel Plays The Organ » pour l’occasion, est composée de Lynn Cassiers au chant et de Jozef Dumoulin à l’orgue, et reprend certaines de ses compositions au travers de morceaux mêlant improvisations, voix planantes et orgue bourdonnant.
La chanteuse Lynn Cassiers nous présente l’histoire du duo et les liens qui se sont tissés entre les œuvres d’Hildegard et leur propre sensibilité musicale.


Interview :


Le parcours de Lynn Cassiers :

« Je suis née dans une famille imprégnée par la musique : mon père jouait du saxophone dans des groupes de jazz et mon frère était batteur donc j’ai pas mal chanté avec eux jusqu’à mes quatorze ans, moment où je me suis dit que je voulais franchir le pas et devenir professionnelle.
J’ai choisi d’aller dans un lycée où j’ai fait deux ans de classique puis du jazz. C’est là que j’ai rencontré Jozef Dumoulin qui était mon professeur de piano, deuxième instrument pour tous les élèves de l’école. À cette époque je pensais vraiment que j’allais faire du jazz classique style bebop. Puis, je suis allée au Conservatoire royal de la Haye où j’ai fait du jazz vocal. C’est là que j’ai commencé à expérimenter avec des pédales d’effets (loopers, delays, réverbes).
Petit à petit, les gens ont commencé à me demander de jouer de cette façon dans des groupes et c’est comme ça qu’a commencé notre collaboration professionnelle avec Jozef, en 2005, alors que je finissais mon parcours au conservatoire.»

La formation du duo :

« Jozef m’a appelé pour rejoindre le premier groupe qu’il créait sous son nom, qui se nommait « Lidlboj » et qui a été assez important pour notre collaboration. Cette formation était spéciale, personnelle : c’était un mélange de différentes approches musicales avec une esthétique qui allait de la pop au jazz moderne, avec des systèmes d’improvisation. Parallèlement aux activités de Lidlboj, on a commencé à jouer en duo avec lequel on a petit à petit laissé tomber les morceaux un peu plus pop composés par Jozf. Nous avons fini par n’explorer que de l’improvisation libre et c’est dans cette forme, et sous le nom Lilly Joel, que nous avons enregistré notre premier album « What Lies In The Sea », sorti chez Sub Rosa en 2015. »

  • D’où vient ce nom de groupe, « Lilly Joel » ?

« Lilly Joel fait surtout référence à nos deux pseudonymes : Lilly pour Lynn et Joel en référence au deuxième prénom de Jozef, qui est par ailleurs fan de Billy Joel !

  • D’où vous est venue l’idée d’interpréter les œuvres d’Hildegard von Bingen à la voix et à l’orgue ?

Jozef a commencé enfant à jouer sur un orgue étant donné qu’il en avait un petit chez lui. Au bout d’un moment, il a pu aller dans l’église pour avoir des cours et pour accompagner les messes. À la fin, je crois qu’il pouvait en jouer quand il voulait. ! L’orgue représente quelque chose de fort pour lui : sa jeunesse, son adolescence. Il a voulu retourner à ça et, alors qu’il était en résidence à Tours, il a proposé un projet en duo orgue/trompette autour des compositions d’Hildegard von Bingen.

Je crois comprendre que Jozef ne s’est pas uniquement intéressé à Hildegard pour sa musique mais plus généralement pour sa philosophie : elle s’est illustrée dans la médecine, dans la poésie, dans la sphère politique, dans l’astrologie… Elle a écrit sur le corps d’une façon qui était inédite pour l’époque. Et elle a vécu très longtemps : 80 ans ! Ce qui est énorme pour une femme à cette époque !

Il faut avoir en tête qu’à l’époque il était interdit d’accompagner la voix d’un instrument. Le fait qu’Hildegard donne une place aussi importante à sa musique lors de ses services religieux était par ailleurs mal considéré puisque les femmes, à part les nonnes, n’étaient pas autorisées à chanter pendant la messe. Elle, en revanche, elle faisait tout à travers ses chants !

Jozef a quant à lui fait le choix de combiner ces chants au souffle de l’orgue et c’est assez spécial, parce qu’on est effectivement face à une musique monodique*. Mais Jozef a vu ce côté spectral de l’orgue avec toutes ses couleurs et ses registres. Étant donné qu’on met souvent un bourdon sur ce genre de mélodies, on peut vraiment évoluer dans les textures et les timbres de l’orgue, avant même d’aborder l’harmonie. En plus, c’est un instrument qui a quelque chose de l’ordre d’une voix, notamment avec l’air qui passe et fluctue dans les tuyaux.

*à une seule voix

  • Comment avez-vous fait pour vous approprier les morceaux d’Hildegard ?

La difficulté, c’était de trouver différentes manières d’amener ces morceaux, à travers différents jeux. Il y a très peu d’informations sur les partitions et la langue : c’était le plus dur. J’ai essayé de comprendre ce qu’elle veut dire, comprendre son idée de « Viriditas » qu’on peut traduire par « verdeur » : l’idée d’une vie cosmique qu’on retrouve dans la nature et qui passe à travers tout. C’est aussi une idée sensuelle liée à la fécondité, à la force de la nature. J’ai pas mal traduit ses textes pour essayer de trouver l’équilibre entre le chant classique et ma propre technique au micro, qui est une voix presque chuchotée.

C’est un répertoire qui n’est pas vraiment le nôtre, et en même temps on ressent quelque chose de très fort. Il y a une phrase que j’aime beaucoup qui a été écrite par quelqu’un qui s’intéressait à Hildegard : « elle utilise un triptyque religieux de l’âme humaine, les vertus et le diable. Tout est imprégné de son concept spirituel de « viriditas », la force de vie cosmique qui imprègne le monde naturel » *. C’est quelque chose de vraiment très moderne puisqu’elle expérimente sa spiritualité dans les choses du quotidien et c’est ça qui est beau. J’aime bien cette idée qu’on peut utiliser tout de ce monde, qu’il faut accepter tout ce qu’on est, y compris les choses qu’on a créées qui ne sont pas belles, comme le plastique, par exemple. Je crois qu’on peut travailler avec ces éléments, pas seulement pour leur donner une destination plus noble, mais pour ne pas fixer notre idée de beauté. »

  • Pourriez-vous nous expliquer votre technique du soundscape ?

J’utilise mon micro comme source et je vais me sampler moi-même pendant que je suis en train de chanter. Je vais construire couche sur couche dans les loopers avec des tempos qui changent. Je vais construire couche sur couche dans les loopers partant de ma voix ou des objets que je frotte contre le micro. En les transformant, par exemple en les baissant de quelques octaves, ça fait des trucs très amples qui créent juste des sons un peu abstraits.

Pour poursuivre l’aventure :

Lien vers le site internet de Jozef Dumoulin
Lien vers le site internet de Lynn Cassiers

Un article réalisé par Anouk Khaloua.

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